bouddhas

Italie, d’un port à l’autre

[...] le soir à Venise. Une traversée rapide : les sept cent soixante-dix kilomètres sont couverts en 7 heures 30. La douce vitesse de croisière sur le ruban d’autoroute favorise la rêverie (disons la décontraction…).

Je vois très peu de l’Italie, engoncé entre les rails la traversant. Les panneaux indiquant les régions m’invitent cependant vers les routes secondaires, parcourant de riches campagnes aux domaines enracinés par les siècles, traversant de magnifiques villes légendaires : Florence, Pise, Rome l’éternelle ! [...]

Chine-Tourfan

[...] je trouve facilement une chambre dans un dortoir de cinq lits pour deux dollars. La chambrée est une cave enterrée aux trois-quarts ; au plus haut sont percées deux minuscules fenêtres. C’est frais et les draps sont propres. Une douche salvatrice prise, je fais le tour de la ville comme à mon habitude et m'arrête pour dîner.

Soupe ouigour

 

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Chine- Dunhuang et les grottes de Mogao

       [...] C'est à vingt-cinq kilomètres au sud de Dunhuang qu’est situé le site de Mogao renfermant peintures, manuscrits et statues bouddhiques comptant parmi les plus importants et les plus anciens au monde. Afin de bénéficier d’une protection, pour exprimer leur gratitude ou par dévotion, les voyageurs, pèlerins, caravaniers et marchands creusèrent et aménagèrent les grottes de Mogao.

    J’ai apporté mon foulard de reconnaissance.

Passée la barrière, de jeunes recrues, comme désespérées d’être là, déambulent sur un vaste parking enveloppé d’une chape de fumée bleue. L’odeur nauséabonde des moteurs diesel émane d’une multitude de cars stationnés moteur tournant, alimentant des climatiseurs poussés à leur maximum. L’accès au site est bordé de boutiques, de magasins et de restaurants. Presqu’une ville. Les marchands du temple sont là, une fois de plus.

    La marée humaine de touristes m’emporte. Je domine de la taille le flot des petits drapeaux rassembleurs aux couleurs des tour-opérateurs. M’arrêtant à un portique de type métro (c’est d’ailleurs l’heure de pointe !), un garde zélé tourne et retourne mon ticket d’entrée pour finir [...]

[...] Il m’ouvre alors le passage sur un parcours propre et organisé. Je suis le grain de sable dans ce rouage de colonnes humaines structurées pour la visite et je gène leur évo- lution. Perturbées, contrariées, les chenilles processionnaires se regroupent et repartent dévorer l’excavation suivante. Parfois deux lignes d’asticots urticants se retrouvent face à face sur l’étroit labyrinthe courant sur les trois niveaux de la falaise. Impossible de reculer pour eux, derrière ça talonne. Agglutinés sur le mince goulet, ils se mélangent, parviennent à s’extraire de la confusion, se reconnaissent, se reforment et poursuivent leurs guides qui, un lourd trousseau de clefs tintant à la ceinture, ouvrent et referment les portes des grottes sur leur passage et à mon nez ! Qu’importe, je patiente pour me mêler (moi aussi) au groupe de visiteurs anglo-saxons essoufflés et suants. [...]

Chine-Shanghaï

Une ville au superlatif

    [...] Accueilli avec gentillesse et hospitalité : « Voilà le frigo, la douche, les toilettes, tu es chez toi ! », je reste plus d’une semaine à Shanghaï
     Le jour, j’organise mon retour, je lave mes vêtements, je range mon équipement, classe mes notes, en griffonne de nouvelles. Je flâne dans les quartiers traditionnels faits de maisons en bois, goûte à l’atmosphère populaire d’une ville humant des senteurs d’aventure à la Tintin sous fond de Lotus Bleu. [...]

    [...] Annick me raconte qu’elle a vu s’élever trois mille tours en huit ans et m’explique : « Tu vois, il y a encore quatre ans, je venais faire mon jogging dans les marécages du Pudong (1), et maintenant, regarde autour de nous : que du verre et du béton ! Difficile d’imaginer hein ? C’est la nouvelle Chine, c’est la nouvelle Shanghaï ! ».
     Je suis déconcerté. Effacée l’image romantique d’une ville au charme délicat, encensée des parfums de l’extrême Asie, recelant des mystères envoûtants, dissimulant des ruelles sombres aux ombres furtives, des fumeries d’opium obscures, avec, arrimés à son port, des bateaux aux cales chargées de trésors en partance vers des contrées lointaines… [...]
(1) Pudong , à l’est de Shanghaï, est un quartier d’affaires en plein essor économique

Shanghaï

    [...] Tout y est gigantesque, démesuré, hétéroclite. Le projet du gouvernement de créer de toutes pièces cette zone économique a engendré une architecture à l’urbanisme délirant où se distingue entre toutes la tour Jin Mao à l’intérieur digne d’un décor de Star Wars. Le Pudong, excroissance de Shanghaï, est un mutant rouge aux habits taillés dans la bannière étoilée.

Tour Jin Mao

     Avoir les plus grands ponts suspendus, le plus grand centre commercial d’Asie, ne lui suffit plus. L’alien poussé inéluctablement à grossir éructe de ses profondeurs l’une des prochaines plus grandes tours du monde : le Shanghaï World Financial Center, qui culminera à quatre cent quatre-vingt douze mètres ! Il engendrera ensuite des tours jumelles en forme d’ADN (réalisées par nos ingénieurs du viaduc de Millau) qui atteindront cinq cent quatorze mètres et devraient coûter cinq cent vingt millions d’euros soit plus d’un million d’euros l’étage…

Tour Jin Mao intérieur

L’essai des communistes est transformé, l’expérimentale zone de développement économique et technique du Pudong est devenue sans conteste la devanture de la réussite chinoise. Est-ce le prolongement de la vision de Mao Tsé-toung, lui qui, en 1921, juste en face dans la concession française, sera l’un des douze participants au premier congrès du Parti Communiste Chinois ?

 

   Simple observateur de cet environnement époustouflant, je perçois quelque chose de viscéral, d’organique, dans la transformation de Shanghaï : ses poumons inspirent tous les jours un peu plus d’argent et son pouvoir en gonfle le torse démesuré. La grenouille plus grosse que le buffle saura-t-elle survivre à l’intégration du modèle occidental ? [...]

Chine-A la grandeur de la France éternelle !

Un Français si tranquille

    [...] Ce soir (comme tous les soirs) nous sortons dans Shanghaï la nocturne. Francis, le colocataire d’Annick, la trentaine, est grand, mince, avec de grands yeux bleus à l’attention aigue, et affiche le parler et l’élégance innée du parfait parisien. Sous ses faux airs d’homme averti, il ne se prend pas au sérieux.
— A la grandeur de la France éternelle ! S’exclame t’il.
Au cœur du Bund, sur la rive gauche du Huangpu, dans la boite au décor chinois bon chic-bon genre, nous levons nos verres et buvons d’un trait notre énième B 52, un cocktail flambé composé de liqueur d’orange, de café et crème de whisky. Certains en inhalent les vapeurs avant de le boire à la paille, incendiaire !
     Le comptoir ovale du Bar Rouge enferme dans son arène une dizaine de serveurs qui abreuvent sans relâche les nombreux consommateurs chinois et de bizarres expatriés aux yeux cernés de rouge.
     Pas de débordement, l’ambiance est sage, presque studieuse, il semble de bon ton d’afficher un air blasé même si l’on s’amuse. Je sors sur le balcon du luxueux édifice construit à l’âge d’or de la période coloniale. Surplombant le Bund, j’ai une vue imprenable sur les illuminations du Pudong qui se reflètent dans l’eau noire de la rivière.
Cette fascinante vision de troisième millénaire me laisse rêveur. Francis vient me chercher : « Mais que fait donc notre motard au long court ? Allez viens, on s’ennuie ici. Allons ailleurs ! ».
     Je détache avec difficulté mon regard des lumières éblouissantes du Pudong. Annick avait raison, voir Shanghaï valait vraiment la peine !


Pudong

  « L’ailleurs » est l’univers feutré d’une imposante demeure à l’architecture aristocratique. Héritage de la présence de la France à Shanghaï, la construction est bordée d’un vaste jardin situé au cœur du très chic « French Town ». [...]

 [...] Francis, manageur à l’export, a des ennuis : les produits commandés tardent à être fabriqués et ses clients s’impatientent…
— J’ai confiance en mon fournisseur mais les industries manquent de main d’œuvre et donc se concurrencent. Parfois, un ouvrier part du jour au lendemain pour gagner un centime de plus par heure. C’est pour cela que les patrons ne paient qu’une fois la fabrication terminée, sinon dès qu’ils ont assez d’argent, les gars retournent dans leurs villages s’occuper de leurs fermes.
Un centime d’augmentation, qui soit dit en passant implique en contrepartie une augmentation du rythme de travail. Parfois ce business m’écoeure !
— Je connais ça…
— Ouais Jean-Loup, c’est la vie !
     Nouvelle vague de B52…
— Dis-moi Francis, toi qui parcours la Chine de long en large, tous ces exploités, ils ne se révoltent jamais ?
— Bien sur que si ! Mais la presse est sous contrôle du gouvernement et n’en parle jamais !
— Et ce sont des révoltes importantes ?
— Ce que je peux te dire, c’est qu’il y a des arrestations suivies d’exécutions. La dernière fois dans le Guangxi, les ouvriers, toujours pas payés après six mois, ont pendu les patrons et les flics et les militaires appelés à l’aide ont subi un sort identique.
— Presque une révolution !
— Oui presque, les « rebelles » ont été fusillés sur le champ et le gouvernement a envoyé la facture des munitions à la famille des condamnés.
     Nous terminons la soirée sur des hypothèses de liberté et d’égalité. [...]